Sommes-nous vraiment acteurs de notre santé?

Il y a quelque chose de paradoxal dans notre époque. Jamais on n’a autant parlé de santé, jamais on ne s’est senti aussi démunis face à elle. Derrière les bilans sanguins parfaits, les montres connectées, les objectifs de longévité, il y a parfois un doute profond, un malaise diffus : suis-je vraiment en santé, ou simplement dans les normes de santé ? Est-ce que je me soigne, ou est-ce que je me rends conforme à ce que la santé est censée être ?

Ce questionnement, beaucoup ne le formulent pas. Parce qu’on nous a appris que la santé, c’était une case à cocher, un état à atteindre, une performance à maintenir. Mais si on se laissait déranger par une autre hypothèse : et si la santé n’était pas un résultat, mais un rapport au vivant ?

La santé n’est pas une mécanique à réparer

On vit encore avec une métaphore industrielle de la santé : notre corps serait une machine, nos symptômes des voyants rouges, nos médecins des réparateurs. Alors on consulte, on agit, on règle, on supprime. Cela fonctionne parfois. Mais cela nie une dimension plus intime : celle du sens. Une douleur n’est pas toujours un défaut. Un ralentissement n’est pas forcément un problème. Et un mal-être n’est pas une erreur du système.

Cette vision focalisée sur la réparation a aussi un coût : elle nous pousse à attendre que quelque chose casse avant d’agir. Or, la santé se cultive bien en amont du symptôme. Elle se construit dans les marges, dans les micro-choix quotidiens, dans l’écoute discrète des premiers signaux faibles. C’est une pratique de présence, bien plus qu’un acte de correction.

Réapprendre à entendre : le corps a ses mots

Une des premières choses qu’on désapprend, quand on devient adulte, c’est à sentir. À vraiment écouter. On consulte des experts pour tout, ce qui est précieux, mais on perd peu à peu la légitimité de nos propres ressentis. Fatigue ? Normal, tout le monde est fatigué. Douleur ? Pas grave, ça passera. Intuition ? Pas très scientifique.

Et pourtant, c’est souvent dans ces petits signaux que se joue l’essentiel. Le corps parle une langue qui ne s’enseigne pas à l’école de médecine. Il parle en lenteur, en tiraillement, en joie soudaine, en repli inexpliqué. Suivre son instinct ne veut pas dire rejeter la science ; cela signifie remettre de la confiance dans l’expérience vécue, dans ce que l’on ressent mais qu’on ne sait pas encore expliquer.

La santé intégrative, ou l’art de relier les mondes

On n’a pas besoin d’opposer la médecine conventionnelle à l’accompagnement complémentaire. Ce qui compte, c’est de relier. Relier le rationnel au ressenti. La connaissance à l’expérience. Le soin technique à l’espace relationnel. De plus en plus de patients, mais aussi de dirigeants, de cadres, de collectifs, réclament cette vision-là. Une vision où le corps est pris en compte dans ses multiples dimensions, pas uniquement dans ses symptômes.

C’est cela, aussi, changer de rapport à la santé : ne plus demander à un seul modèle de tout résoudre, mais composer un chemin, à sa mesure, avec les bons interlocuteurs, les bons outils, au bon moment.

La vraie révolution : faire de la santé une responsabilité vivante

Quand on change de rapport à la santé, on cesse de la déléguer. On en fait une matière vivante, qu’on explore, qu’on ajuste, qu’on partage. Ce n’est plus “quel médecin va me guérir ?”, mais “qu’est-ce que je peux comprendre, apprendre, ajuster aujourd’hui, avec ce que je vis ?”. C’est un renversement puissant. Parce qu’il rend humble, mais actif. Parce qu’il fait de la santé un chemin et non une injonction.

Et ce chemin commence souvent bien avant qu’un problème survienne. Il commence là où l’on choisit d’écouter avant d’intervenir, de prévenir avant de compenser. C’est un changement d’intention autant que de méthode.

Et maintenant?

Changer de regard sur la santé, ce n’est pas changer de méthode, c’est changer de posture. C’est déplacer le centre de gravité : passer de la conformité à la conscience, de la réparation à la relation, de la délégation à la participation. Devenir acteur.

Ce changement est subtil, lent, souvent invisible au départ. Mais il transforme profondément la manière dont on vit, dont on travaille, dont on prend soin de soi, des autres, du monde. Il ne s’agit pas de tout réinventer, mais peut-être simplement de commencer à écouter autrement.

Car la santé n’est pas un état figé. C’est un dialogue permanent, entre ce qui nous habite, ce qui nous entoure, et ce à quoi nous voulons donner de la valeur. Alors peut-être qu’au lieu de chercher à « aller bien », on pourrait déjà apprendre à être en lien avec soi-même, avec nos rythmes, avec nos choix.

C’est là, parfois, que commence vraiment le soin.

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